La fabrication

CARTIER, Explication de ces six Planches,

Explication de ces six Planches, avec quelques détails particuliers de l’Art, pour servir de supplément à l’article Cartes du Dictionnaire.

IL en est de l’Art du cartier comme de beaucoup d’autres, tels que le mégissier, le chamoiseur, le tanneur, &c. la manoeuvre & la langue en varient souvent d’une province à une autre. Voici la fabrication & les termes à l’usage des maîtres cartiers de Paris.

Papiers qui entrent dans la composition de la carte.
On peut faire des cartes avec toutes sortes de papier; mais on n’y en employe que les trois suivans.

1. Le papier pot.
2. La main brune ou étresse.
3. Et le papier cartier.

Le papier pot est assez blanc, mais peu collé. C’est ce papier qui reçoit l’impression des couleurs; il sert au devant de la carte. Il y en a de deux especes.

L’espece de papier pot la plus commune s’employe au dedans de la carte avec l’étresse, & le papier cartier, pour rendre la carte plus blanche.

Ce papier est appellé papier pot, parce que c’étoit la marque de la papeterie, lorsqu’on commença à l’employer à la fabrication de la carte. La feuille portoit un pot de fleurs; la marque a changé depuis longtems, & le nom est resté au papier.

La rame de ce papier doit être du poids de neuf à dix livres, poids de marc.

La main brune ou l’étresse est destinée à composer le corps ou l’intérieur de la carte. C’est un papier gris, compact & propre à ôter à la carte toute transparence.

Il y a de l’étresse forte & de l’étresse mince. La forte doit peser douze à treize livres, la mince, neuf à dix.

L’étresse forte entre dans la fabrication des cartes à trois feuilles, dont on forme ordinairement les jeux entiers & de comete, pour que le grand nombre de cartes ne rende pas les jeux trop épais.

L’étresse mince entre dans la fabrication des cartes à quatre papiers, comme dans les jeux de quadrille, piquet & brelan.

Dans plusieurs provinces l’on ne fait des cartes qu’à trois papiers. Dans ce cas on les choisit plus forts, surtout pour les jeux où le nombre des cartes est le moindre.

Le papier cartier se fabrique exprès. Il doit être très blanc & bien collé; la rame en doit être du poids de dix à onze livres; il se place au dos de la carte.

La dimension de ces trois différentes sortes de papiers est de quatorze pouces de long, sur onze pouces & demi de large, la feuille prise dans son entier.

Fabrication des cartes.
On commence par choisir, éplucher, nettoyer le papier, en ôter les bros ou ordures.

Plusieurs fabriquans font même frotter l’étresse des deux côtés avec la pierre ponce, afin de mieux appercevoir les ordures; cela s’appelle poncer.

Mais le poncer n’a lieu qu’après le premier collage qui se fait à deux feuilles d’étresse & une feuille de pot jointes ensemble, comme il sera dit ci après.

Mêlage à trois papiers.
Le mêlage du papier est, à proprement parler, la premiere opération de la fabrication.

Celui des entieres & comete se fait à une ou à deux fois.

Dans le premier cas, les trois feuilles de papier se mêlent ensemble, de maniere qu’il y a une feuille de main brune forte entre deux feuilles de pot, & deux autres de cartier, &c.

Dans le second cas, on mêle une feuille de main brune avec une feuille de cartier, arrangées de maniere qu’il y a de suite deux feuilles de main brune & deux feuilles de cartier.

Après que ces feuilles ainsi disposées, ont été collées & séchées, on les mêle de nouveau avec une feuille de pot qui collée, rend le carton complet.

La derniere façon de mêler est la plus usitée, & celle qui donne le plus de corps aux cartes.

Les maîtres cartiers ne pratiquent la premiere, que lorsqu’ils sont pressés d’ouvrage.

Mêlage à quatre papiers.
Les cartes de quadrille, piquet & brelan, composées de quatre feuilles de papier, se mêlent à deux fois.

Le premier mêlage est de deux feuilles de main brune, ou d’une feuille de main brune & d’une feuille de pot, qui collées ensemble, sont appellées cartons ou feuilles d’étresse.

Le second mêlage se fait, en ajoutant aux feuilles d’étresse collées une feuille de pot & une autre de cartier.

L’ordre que l’on tient à cet égard, est de commencer par mêler une feuille d’étresse entre deux feuilles de pot & deux autres feuilles de cartier, comme il a été dit pour le mêlage des entieres à une fois.

La raison de cet ordre est de faire que les deux feuilles de pot ou de cartier ne reçoivent chacune la colle que par un côté, les cartons se séparant par l’autre côté, comme il sera dit ci après.

Un bon ouvrier peut mêler par jour jusqu’à dix-sept à dix-huit tas.

Tas à quatre papiers.
Ce tas est composé de plus ou de moins de mains de papier, selon la sorte de cartes que l’ouvrier se propose de fabriquer.

Lorsqu’il s’agit de faire des cartes à quatre papiers, le tas est de deux rames pour le premier mêlage; sçavoir, dix mains d’étresse collée, dix mains de pot, & dix mains de cartier; ce qui revient à la quantité de quarante mains, les dix mains d’étresse collée représentant vingt mains.

Tas à trois papiers.
Quant aux cartes à trois papiers, lorsqu’on mêle à deux fois, le tas est aussi de deux rames de papier pour le premier mêlage; mais pour le second, ou lorsqu’on mêle à une seule fois, le tas est toujours de soixante mains, vingt mains de main – brune, vingt mains de pot, & vingt mains de cartier.

Mais avant que de parler du collage qui se fait immédiatement après le mêlage, il convient d’expliquer la maniere dont se fait le moulage des cartes à figures ou à têtes, attendu que le papier imprimé des cartes à têtes fait partie du mêlage & du collage.

Moulage.
Les réglemens faisant défenses aux cartiers d’avoir chez eux ni dans aucuns lieux secrets aucuns moules servant à imprimer les traits des cartes à portraits, & leur étant enjoint de venir faire les impressions au bureau de la régie, à cet effet l’on y a établi des moules.

Ces moules sont gravés sur cuivre ou sur bois; ils sont de différentes grandeurs, relativement au nombre de figures qu’ils contiennent.

Selon les différentes fabriques, ils sont à vingt ou à vingt quatre, ou même à trente figures.

A Paris & en Alsace les moules ne sont qu’à vingt figures; l’on ne parlera ici que de cette sorte.

Les figures sont rangées sur les moules à quatre de hauteur sur cinq de large.

L’on se sert ordinairement de deux moules pour l’impression des douze différentes figures qui ont eu lieu jusqu’à présent dans les différens jeux d’usage; sçavoir, les moules de têtes & ceux de valets rouges.

Le premier moule contient deux rois & deux dames de coeur & de carreau.

Deux rois & deux dames de trefle & de pique.

Deux valets de trefle & de pique; ce qui fait en tout vingt figures qui sont peintes en cinq couleurs.

Le second contient vingt valets, dix de coeur, & dix de carreau, qui ne sont peints ordinairement qu’à quatre couleurs.

L’on imprime cinq feuilles de la premiere sorte pour une de valets rouges; ce qui fournit à dix jeux de cartes de toutes sortes.

Dimension de la carte.
Les cartes prises dans l’intérieur des traits qui terminent leur quarré oblong, sont de trois pouces de hauteur sur deux pouces de largeur. Or il y a une distance intermédiaire entre ces traits, laquelle est d’une ligne en tous sens. On appelle cette distance ou réserve, champ. C’est par le champ que se fait la section de la carte avec les ciseaux; ensorte que la dimension de la carte est en tout de trois pouces & une ligne de haut, sur deux pouces & une ligne de large.

Dimension d’un moule à vingt figures.
Mais il faut remarquer que les traits ou lignes qui terminent le grand quarré qui renferme les figures, n’a qu’une demi-ligne de champ, attendu que la carte n’en doit comporter qu’une demi-ligne sur chacun de ses côtés; en conséquence un moule de vingt figures doit avoir exactement dans l’intérieur des traits qui terminent le grand quarré, douze pouces & quatre lignes de haut, sur dix pouces & cinq lignes de large, pié de roi, avec un rebord d’environ six à neuf lignes.

Les dimensions dont il s’agit ici, ont été prises sur les moules actuellement en usage à Paris; mais elles varient selon les lieux. Cette variation doit être connue pour bien juger de la diminution que les cartes peuvent souffrir pour la recoupe.

Il faut que le moule soit posé sur une table solide.

Composition du noir à imprimer.
Le noir dont on se sert pour l’impression des premiers traits des figures par le moyen du moule, se fait de colle & de noir de fumée; on les laisse agir l’un sur l’autre, & le noir le plus anciennement préparé, est le meilleur.

Les outils & ustensiles dont on se sert pour cette opération, consistent en une brosse à longs poils, avec laquelle on noircit le moule, & un frottoir de crin ou de lisieres, pour appliquer la feuille sur le moule.

On humecte de tems en tems ces frottoirs avec de l’huile, pour qu’ils coulent plus facilement sur la feuille de papier, & ne la déchirent point.

Il faut user sobrement d’huile, parce que si la feuille en avoit trop, elle ne prendroit pas la colle.

Moitissage du papier.
Pour que le papier puisse prendre l’impression des traits, il faut qu’il soit moiti; & voici comment cela se fait.

On trempe dans l’huile le papier pot, & ensuite on le met sous presse, afin que l’huile se répande également partout, & que le superflu en soit exprimé. On laisse ordinairement le papier huilé sous la presse environ sept à huit heures.

Un bon mouleur peut en treize heures de travail mouler deux mille cinq cens feuilles.

Lorsque le moulage est fait, il est d’usage d’étendre les feuilles sur des cordes pour les faire sécher.

Collage.
Après la distribution ou l’arrangement des papiers, fait dans l’ordre que nous avons indiqué ci dessus, en parlant du mêlage, l’on procede au collage. Or l’explication de l’une de ces manoeuvres devient l’éclaircissement de l’autre.

Il faut seulement observer qu’un bon ouvrier ne peut coller par jour, c’est à dire dans treize heures de travail effectif, que douze à quatorze tas composés chacun de quarante mains, ou seulement huit à neuf tas faits chacun de soixante mains, encore cele suppose-t-il un auxiliaire pour presser, piquer & étendre aux cordes les tas qu’il colle; sans cet auxiliaire, il ne peut coller que moitié.

Le premier collage se nomme le collage en feuille.

Le second collage se nomme le collage en ouvrage.

Il faut que le tas de l’un & de l’autre reste en presse pendant une heure ou environ, afin de faire prendre corps à la colle avec le papier, & en exprimer le superflu.

Il est à observer qu’on ne met ordinairement sous presse que dix mains de collage en blanc ou deux cens cinquante cartons; une plus grande quantité pourroit s’écarter & se gâter.

Composition de la colle.
La colle qui sert à former ou mettre en carton, se fait ordinairement de farine & d’amidon. C’est du degré de cuisson qu’on lui donne, que dépendent sa bonté, sa solidité & sa blancheur. On la fait refroidir dans des baquets. Quand elle est froide, on la passe au tamis pour la rendre égale & la nettoyer d’ordures.

Etendage.
Pour faire sécher le collage, si c’est de l’étresse, on pique & on étend cinq à six feuilles ensemble; si ce sont des cartons avec tous leurs papiers, on les pique par double avec un fil de laiton, le papier cartier en dedans, pour les accrocher à des cordes tendues dans un endroit aéré, spacieux & commode.

On ne laisse en été les cartons aux cordes que pendant vingt quatre heures, à moins que le tems ne soit pluvieux; en hiver on les fait sécher au poîle.

Le tems qu’ils restent aux cordes; dépend alors du plus ou moins de feu que l’on entretient dans les étendages; à un feu vif & égal, il faut trente six heures pour sécher.

Un commis ne peut être trompé sur cet article, en visitant journellement les étendages d’un cartier, parce qu’on ne peut substituer des cartons sortans de la presse à des cartons en partie ou tout à fait secs, qu’il ne s’en apperçoive à la différence de couleur que les uns & les autres présentent à la vûe.

Les cartons secs sont abattus & dépinglés en très peu de tems.

Un ouvrier dans trois heures peut abattre, dépingler & mettre en pille l’ouvrage de la journée d’un col – leur; cela s’appelle abattre le collage.

Premier séparage des cartons.
Il y a deux sortes de séparage, celui de l’étresse en premier collage, & celui de l’ouvrage ou du second collage.

Le premier est le plus long & de beaucoup; la raison en est que l’on étend aux cordes cinq ou six feuilles ensemble qui collées les unes aux autres par leurs extrémités, ne peuvent être séparées qu’avec peine; au lieu que l’ouvrage ou le second collage n’est étendu que double à double; ce qui en rend la séparation plus aisée.

On ne peut évaluer qu’imparfaitement le tems de cette manoeuvre, parce que les maîtres cartiers ne font séparer leurs étresses & ouvrage qu’à différens intervalles, selon qu’ils en ont besoin.

On estime cependant qu’un ouvrier peut séparer par jour vingt cinq grosses d’étresses, & quatre cens cinquante mains d’ouvrage.

La grosse contient douze mains, la main vingt cinq cartons. L’usage est de compter l’étresse collée & les cartons de tête par grosses, & les cartons de points par dix mains.

Avant que de parler du second séparage, on va expliquer de quelle maniere se fait la peinture, attendu que le dernier séparage se fait après que les cartons ont été mis en couleur.

Peinture.

Après que les cartons sont redressés, on les peints; & cette manoeuvre s’appelle habillage.

Les têtes ou figures reçoivent plusieurs couleurs, sçavoir, cinq pour les rois, dames & valets noirs, le jaune, le gris, le rouge, le bleu & le noir. Les valets rouges ne reçoivent que les quatre premieres.

Il faut pour cet effet cinq patrons. Ces patrons sont découpés chacun relativement aux parties des figures auxquelles on destine chaque couleur. Ils sont vernis ou mastiqués, & on les nomme imprimures. Les imprimures pour les points ne different pas des imprimures pour les figures.

Il y a cette différence de la peinture des têtes à celle des points, que les têtes se peignent par grosse, & les points par main.

Un ouvrier ne peut peindre par jour que douze mains de tête; il peint au contraire soixante mains de points, attendu qu’il n’y a qu’une couleur à appliquer aux points, & cinq aux têtes.

Lorsque les couleurs ne sont pas placées contiguëment les unes aux les autres, & qu’elles laissent entre elles un espace non peint; ce défaut de la carte s’appelle une fenétre.

Dernier séparage de cartons.
Pour éviter que le côté du papier cartier ne soit taché, lorsqu’on imprime les couleurs, on laisse deux cartons ensemble, le papier cartier en dedans, & les côtés du papier pot en dehors recevant la peinture. Quand on a peint, on sépare les cartons, en déchirant un peu un des angles, afin de pouvoir insérer entre eux un couteau de bois. On exécute cette opération avec la main, si le carton est bien sec.

Un ouvrier peut séparer par jour, comme il a été dit ci dessus, jusqu’à quatre cens cinquante mains de cartons.

Chauffage & lissage.
C’est la lisse qui donne aux cartes le luisant qu’on leur voit; le lissage se fait comme on va dire.

On fait chauffer les cartons dans des chauffoirs de différentes sortes, selon l’emplacement du maître cartier.

Le carton se chauffe d’abord pardevant, c’est à dire du côté des couleurs, puis on le frotte avec un frottoir de lisiere ou de feutre. On a passé dessus auparavant un morceau de savon bien sec; il ne s’attache au carton qu’une portion très légere de savon. Cette portion de savon fait couler la lisse, & l’empêche d’érafler le carton. Quand on a savonné le carton, on le lisse du côté où il a reçu cette préparation.

La lisse est composée de cinq parties essentielles.

D’une table un peu flexible, sur laquelle est posé un marbre poli, un peu plus grand que les cartons.

Ce marbre est appliqué sur la table, & il sert de soutien à la feuille qu’on lisse avec un caillou.

Le caillou s’aiguisse sur un grais; il est emboîté dans un morceau de bois à deux manches, ou, comme disent les ouvriers, à deux mancherons ou poignées. Cette boîte tient au bout d’une perche qui est bridée par son autre bout à une planche tenue au plancher verticalement au dessus du marbre. Cette planche fait ressort & détermine le degré de pression convenable pour lisser & lustrer le carton.

Après cette premiere opération, on en use de la même maniere pour le derriere ou le dos de la carte.

Boutée.
Les cartiers lissent leurs ouvrages par boutées. Une boutée est ordinairement de quarante sixains, & employe plus ou moins de cartons, selon l’espece de jeux. Le nombre des cartons ne varie jamais, par rapport aux têtes & aux valets, parce que le nombre en est toujours le même pour toutes sortes de jeux.

On subdivise les boutées par patrons. On entend par un patron une quantité de chacune des especes de cartons qui servent à former le jeu, & cette quantité est plus ou moins forte, selon le nombre & l’espece de cartons à réduire en jeux.

Il y a des patrons de têtes où les valets rouges sont compris, des patrons de gros jeux, qui sont les dix, les neuf & les huit.

Des patrons de bas jeux, qui sont les six, les cinq, les quatre, les trois & les deux.

Des patrons de sept & d’as, parce qu’ils sont peints ensemble sur le même carton.

Une boutée de quarante sixains d’entieres est composée de six mains de têtes, une main de valets rouges, huit mains de gros jeux, deux mains de sept & d’as, & dix mains de bas jeux.

On peut estimer là dessus les boutées de quadrilles, piquets & brelans, dont il n’y a à retrancher que le gros ou le bas jeu.

Il y des maîtres cartiers qui ne composent leurs boutées que de trente ou même vingt sixains; cela dépend de leur vente. Dans tous les cas il ne s’agit que de proportionner le nombre de feuilles que chaque patron contiendra, à la quantité de sixains à fabriquer.

L’usage des cartiers est d’avoir toujours plusieurs boutées de toute espece lissées par devant. Ils ne font lisser le derriere ou dos, qu’à mesure qu’ils réduisent en jeux, parce que l’air altere le luisant de la lisse, & qu’on ne peut trop attentivement conserver l’égalité de blancheur au côté de la carte que le joueur regarde quand il mêle ou qu’il donne.

Un bon ouvrier peut lisser par jour des deux côtés vingt à vingt cinq mains de cartons.

Le carton est plus ou moins luisant, selon le nombre de coups de lisse qu’il reçoit; l’ordinaire est de vingt quatre coups de lisse sur chaque côté.

Ceux qui ne donnent au carton que seize coups de lisse, doivent faire un tiers plus d’ouvrage.

Mener aux ciseaux.
Lorsqu’une boutée de cartons est lissée par devant & par derriere, on la réduit en cartes.

Cette opération se fait avec deux paires de ciseaux, l’une grande, & l’autre petite.

Les grands ciseaux ont environ vingt pouces de longueur de tranchant; les petits, onze pouces aussi de tranchant.

Ils sont montés & attachés sur des tables qui sont exprès faites, & où des vis & des écrous les arrêtent solidement, & les placent à la distance convenable de leurs estos qui sontscellés à ces tables. Il y a deux aiguilles piquées vis à vis le tranchant; ces aiguilles servent à diriger & guider le carton.

Rogner & traverser.
On commence par rogner aux grands ciseaux le bout d’en haut du carton, puis son côté droit, ensuite on le divise en quatre coupeaux, c’est à dire en autant de portions qu’il contient de cartes de hauteur; & cela s’appelle traverser.

Trancher.
On corrompt le coupeau, c’est à dire qu’on le rend concave sur sa longueur du côté de la peinture, pour le mener plus facilement aux petits ciseaux, ou le trancher.

Un bon ouvrier peut dans quatre heures mener aux grands & petits ciseaux une boutée de quarante sixains d’entieres. On peut régler là dessus le tems qu’il employe pour les boutées de piquets & de brelans.

Des tables.
Les cartes coupées sont portées à la table où elles doivent être assorties, triées, recoulées, jettées & enveloppées par jeux & par sixains.

Triage & recoulage.
Ces opérations consistent à enlever avec une pointe d’acier les ordures qui se trouvent sur le devant & le dos de la carte; séparer les blanches des brunes, & les défectueuses des bonnes, &c.

Par ce travail chaque sorte se trouve composée de quatre especes différentes,
1. des belles qu’on appelle la fleur, ce sont les plus blanches & les plus nettes;
2. des brunes qui se nomment fonds, la qualité du papier en est inférieur à celle du papier des belles;
3. les communes qui ont des défauts, & qu’on appelle maîtresses;
4. les cassées qu’on vend à la livre.

Il y a ordinairement sur une boutée de quarante sixains, deux sixains de fonds, deux ou trois sixains de maîtresses, deux ou trois sixains de cassées, & le reste de fleur.

D’où il s’ensuit que les déchets du maître cartier peuvent être évalués à cinq ou six pour cent.

Assortissage.
L’assortissage consiste à rassembler par sorte les cartes menées aux ciseaux, c’est à dire à réunir les rois de carreau ensemble, les dames de carreau ensemble, & ainsi des autres especes de cartes.

Jetter.
Les cartes assorties sont mises en jeux; c’est ce qui s’appelle jetter.

La premiere carte placée dessus la table pour former un jeu, s’appelle la couche.

Envelopper.
Lorsque les jeux sont complets, on les enveloppe dans des papiers à l’enseigne du fabriquant; cela s’appelle plier en jeux. On fait ensuite la couche, c’est à dire que l’on met la fleur des cartes de maniere qu’en composant les sixains, il se trouve à chaque bout du sixain un jeu de fleur.

Un bon ouvrier peut par jour assortir, trier, recouler, jetter ou réduire & envelopper en jeux & sixains une boutée de quarante sixains d’entieres; mais comme cette boutée est plus forte pour le travail que celle des autres especes de jeux, il y a peu d’ouvriers qui puissent en venir à bout.


Par le détail précédent de la fabrication des cartes, & du tems qu’un ouvrier employe à chaque opération, il est facile d’estimer l’ouvrage d’un maitre cartier, selon le nombre des ouvriers qu’il occupe.

D’ailleurs avec un peu d’attention à suivre le travail, il lui seroit difficile de frauder, sans qu’on ne s’en apperçût.

L’unique ressource de la fraude est d’avoir des atteliers cachés qu’on appelle cremones; mais si les précautions qu’on a prises pour prévenir ou réprimer les différens genres de fraudes que l’expérience a fait connoître, ne réussissent pas entierement, elles la réduisent à peu de chose, eu égard au péril qu’on court, & aux punitions auxquelles on s’expose.

Suivant les statuts des cartiers de Paris, les ouvriers ne peuvent travailler en été que depuis quatre heures du matin jusqu’à huit heures du soir; & en hiver, que depuis cinq heures du matin jusqu’à neuf heures du soir; comme il est d’usage d’accorder trois heures pour les repas, le tems du travail se réduit à treize heures par jour pour toute l’année.

Nous allons maintenant expliquer nos Planches; ensuite nous exposérons sommairement les articles du Réglement sur la fabrication des cartes.