Long texte sur la fabrication de la carte Cartes, s. f. (Jeux.) /… Après cette histoire bonne ou mauvaise de l’origine des cartes, nous en allons expliquer la fabrication. Entre les petits ouvrages, il y en a peu où la main d’oeuvre soit si longue & si multipliée: le papier passe plus de cent fois entre les mains du Cartier avant que d’être mis en cartes, comme on le va voir par ce qui suit. Il faut d’abord se pourvoir de la sorte de papier qu’on appelle de la main brune, voyez Papier; on déplie son papier & on le rompt: rompre, c’est tenir le papier ouvert de la main gauche par le bas du pli, de la droite par le haut du pli, de maniere que les deux pouces soient dans le pli, & faire glisser les autres doigts de la main droite tout le long du dos du pli, en commençant par le bas; ce qui ne peut se faire sans appliquer le haut du dos du pli contre le bas du dos du pli, & paroître rompre les feuilles Le but de cette opération, qu’on réitere autant de fois qu’il est nécessaire sur le même papier, c’est d’en effacer le pli du mieux qu’on peut. Après qu’on a rompu le papier, on en prend deux feuilles qu’on met dos à dos: sur ces deux feuilles on en place deux autres mises aussi dos à dos: mais il faut que ces deux dernieres dérdent les deux premieres, soit par en – haut, soit par en – bas, d’environ quatre doigts. On continue de faire un tas le plus grand qu’on peut de feuilles prises deux à deux, dans lequel les deux 1, 3, 5, 7, 9, &c. se correspondent exactement, & sont débordées d’environ quatre doigts par les deux 2, 4, 6, 8, 10, &c. qui par conséquent se correspondent aussi exactement. Cette opération s’appelle mêler. Dans les grosses manufactures de cartes il y a des personnes qui ne font que mêler. On donne six liards pour mêler deux tas; la rame fait un tas. Après qu’on a mêlé, ou plûtôt tandis qu’on mêle d’un côté, de l’autre on fait la colle. La colle se fait avec moitié farine, moitié amydon: on met sur vingt seaux d’eau deux boisseaux de farine, & trente livres d’amydon. On délaye la farine & l’amydon avec de l’eau tiede: cependant il y en a qui chauffe sur le feu: quand elle est prête à bouillir, on jette dedans le mêlange de farine & d’amydon, en le passant par un tamis de crin médiocrement serré. Tandis que la colle se cuit, on la remue bien avec un balai, afin qu’elle ne se brûle pas au fond de la chaudiere: on la laisse bouillir environ une bonne heure; on la retire ensuite, & elle est faite. Il faut avoir soin de la remuer, jusqu’à ce qu’elle soit froide, de peur, disent les ouvriers, qu’elle ne s’étouffe, ou devienne en eau. On ne s’en sert que le lendemain. Quand la colle est froide, le colleur la passe par un tamis, d’où elle tombe dans un baquet, & se dispose à coller. Pour cet effet il prend la brosse à coller. Cette brosse est oblongue; elle a environ cinq pouces de large, & sa longueur est de la largeur du papier: elle est de soie de sanglier, & garnie en – dessus d’une manique ou courroie de lisiere. On la voit Pl. du Cartier, fig. 9. le colleur la trempe dans la colle, & la passe sur le papier de la maniere qui suit: il l’applique au centre de la feuille, d’où il va à l’angle du haut qui est à droite, & de – là à l’angle du bas qui lui est opposé à gauche: il remet sa brosse au centre, d’où il l’avance à l’angle du haut qui est à gauche, la ramenant de – là à l’angle opposé du bas qui est à droite: il lui est enjoint de réitérer huit fois cette opération sur la même feuille. Cela fait il enleve cette feuille enduite de colle, & avec elle la feuille qui lui est adossée. Il fait la même opération sur la premiere des deux feuilles suivantes, les enleve toutes deux, & les place sur les deux précédentes. Il continue ainsi, collant une feuille & en enlevant deux, & reformant un autre tas, où il est évident qu’une feuille collée se trouve toûjours appliquée contre une feuille qui ne l’est pas. Dans ce nouveau tas les feuilles ne se débordent point; on les applique les unes sur les autres le plus exactement qu’on peut. Quand on a formé ce tas d’environ une rame & demie, on le met en presse. La presse des Cartiers n’a rien de particulier; c’est la même que celle des Bonnetiers & des Calendreurs. On presse le tas légerement d’abord; au bout d’un quart d’heure, on revient à la presse, & on le serre davantage. Si l’on donnoit le premier coup de presse violent, le papier qui est moite de colle, foible & non pris, pourroit s’ouvrir. On laisse ce tas en presse environ une bonne heure; c’est à peu près le tems que le colleur employe à former un nouveau tas pareil au premier: quand il est formé, il retire de presse le premier tas, & y substitue le second. Un bon ouvrier peut faire quinze à seize tas par jour. Il a six blancs par tas. Quand le premier tas est sorti de presse, on le torche; torcher, c’est enlever la colle que l’action de la presse a fait sortir d’entre les feuilles: cela se fait avec un mauvais pinceau qu’on trempe dans de l’eau froide, afin que ce superflu de colle se sépare plus facilement. Cette colle enlevée des côtés du tas ne sert plus. Ces feuilles qui sortent de dessous la presse, collées deux à deux, s’appellent étresses; quand les étresses sont torchées, on les pique. Pour cet effet on a une perce ou un poinçon qu’on enfonce au bord du tas, environ à la profondeur d’un demi – doigt: on enleve du tas un petit paquet d’environ cinq étresses percées, & on passe une épingle dans le trou. L’épingle des Cartiers est un fil de laiton de la longueur & grosseur des épingles ordinaires, dont la tête est arrêtée dans un parchemin plié en quatre, dans un bout de carte, ou même dans un mauvais morceau de peau, & qui est plié environ vers la moitié, de maniere qu’il puisse faire la fonction de crochet. Le piqueur perce toutes les étresses, & garnit autant de paquets d’environ cinq à six qu’il peut faire, chacun de leur épingle. Le colleur s’appelle le servant du piqueur; celui-ci gagne environ trente sous par jour. Quand tous les paquets d’étresses sont garnis d’épingles, on les porte sécher aux cordes. L’opération de suspendre les étresses aux cordes par les épingles en crochet, s’appelle étendre. Les feuilles ou étresses demeurent plus ou moins étendues, selon la température de l’air. Dans les beaux jours d’été, on étend un jour, & l’on abat le lendemain. Abattre, c’est la même chose que détendre. On voit que l’été est la saison favorable pour cette partie du travail des cartes; en hyver, il faudroit un poele, encore n’éviteroit-on pas l’inconvénient du feu, qui mange la colle & fait griper le papier. Ceux qui entendent leur intérêt se préparent en été de l’ouvrage pour l’hyver. En abattant, on ôte les épingles, & l’on reforme des tas; quand ces nouveaux tas sont formés, on sépare: séparer, c’est détacher les étresses les unes des autres, & les distribuer séparément; cette opération se fait avec un petit couteau de bois appellé coupoir. Quand on a séparé, on ponce; poncer, c’est, ainsi que le mot le désigne, frotter l’étresse des deux côtés avec une pierre ponce: il est enjoint de donner dix à douze coups de pierre ponce de chaque côté de l’étresse. Cet ouvrage se paye à la grosse. On donne cinq sous par grosse; un ouvrier en peut faire sept à huit par jour. Cela fait, on trie; trier, c’est regarder chaque étresse au jour, & en enlever toutes les inégalités, soit du papier, soit de la colle; ce qui s’appelle le bro. Le triage se fait avec une espece de canif à main, ou grattoir, que les ouvriers nomment pointe. L’étresse triée formera l’ame de la carte. Le papier dont on fait les étresses vaut cinquante à cinquantedeux sous la rame. Quand l’étresse est préparée, on prend deux autres sortes de papiers: l’une appellée le cartier, qui ne sert qu’à l’usage dont il s’agit; il est sans marque; il pese vingt deux liv. le paquet ou les deux rames, & vaut environ quinze francs la rame: l’autre, appellée le pau, qui vaut à peu près trois livres douze sols la rame. Le papier d’étresse, le cartier, & le pau, sont à peu – près de la même grandeur, excepté le cartier; mais c’est un défaut: s’ils étoient bien égaux, il y auroit moins de déchet. Ces papiers étant préparés, on mêle en blanc. Pour cette opération, on a un tas de cartier à droite, & un tas de pau à gauche. On prend d’abord une feuille de pau, on place dessus deux feuilles de cartier; puis sur celles-ci deux feuilles de pau; puis sur ces dernieres deux feuilles de cartier, & ainsi de suite jusqu’à la fin, qu’on termine ainsi qu’on a commencé, par une seule feuille de pau. Il faut observer que le nouveau tas est formé de maniere que les feuilles se débordent de deux en deux, comme quand on a mêlé la premiere fois pour faire les étresses; ce nouveau tas contient environ dix mains de papier. Quand on a mêlé en blanc, on mêle en étresse; mêler en étresse, c’est entrelarder l’étresse dans le blanc: ce qui s’exécute ainsi. On enleve la premiere feuille de pau, on met dessus une étresse; sur cette étresse deux feuilles de cartier; sur les deux feuilles de cartier, une étresse; sur cette étresse, deux feuilles de pau, & ainsi de suite: d’où l’on voit évidemment que chaque étresse se trouve entre une feuille de cartier & une feuille de pau. Les feuilles de cartier, de pau, & les étresses, doivent se déborder dans le nouveau tas. Après cette manoeuvre, on colle en ouvrage. Cette opération n’a rien de particulier; elle se fait comme le premier collage; & consiste à enfermer une étresse entre une feuille de pau & une feuille de cartier. Après avoir collé en ouvrage, on met en presse, on pique, on étend, & on abat, comme on a fait aux étresses, avec cette différence qu’on n’étend que deux des nouveaux feuillets à la fois; ces deux feuillets s’appellent un double: avec un peu d’attention on s’appercevra que les deux blancs ou feuilles de cartier sont appliquées l’une contre l’autre dans le double, & que les deux feuilles de pau sont en dehors; par ce moyen la dessiccation se fait sans que le papier perde de sa blancheur. Le cartier fait le dos de la carte, & le pau le dedans; le Cartier qui entend ses intérêts, conduira jusqu’ici pendant l’été sa matiere à mettre en cartes. Lorsque les doubles sont préparés, on a proprement le carton dont la carte se fait; il ne s’agit plus que de couvrir les surfaces de ces doubles, ou de têtes ou de points. Les têtes, ce sont celles d’entre les cartes qui portent des figures humaines; toutes les autres s’appellent des points. Pour cet effet, on a un moule de bois, tel qu’on le voit, Pl. du Cart. fig. 5. il porte vingt figures à tête; ces figures sont gravées profondément; voyez l’article de la Gravûre en Bois. Ce moule est fixé sur une table; il est composé de quatre bandes, qui portent cinq figures chacune; chaque bande s’appelle un coupeau. On prend du papier de pau, on le déplie, on le rompt, on le moitit; moitir, c’est tremper. Voyez Imprimerie. On le met entre deux ais: on le presse pour l’unir; au sortir de la presse, on moule. Pour mouler, on a devant soi ou à côté un tas de ce pau trempé; on a aussi du noir d’Espagne qu’on a fait pourrir dans de la colle. Plus il est resté longtems dans la colle, plus il est pourri, meilleur il est. Il y en a dont le pié a deux à trois ans. On a une brosse; on prend de ce noir fluide avec la brosse; on la passe sur le moule: comme ce sont les parties saillantes du moule qui forment la figure, & que ces parties sont fort détachées du fond, il n’y a que leurs traces qui fassent leurs empreintes sur le papier, qu’on étend sur le moule & qu’on presse avec un froton; le froton est un instrument composé de plusieurs lisieres d’étoffes roulées les unes sur les autres: de maniere que la base en est plate & unie, & que le reste a la forme d’un sphéroide allongé. Voyez Pl. du Cart. fig. 13. On continue de mouler autant qu’on veut. Les moules sont aujourd’hui au bureau; on y va mouler en payant les droits: ils sont d’un denier par cartes. Ainsi un jeu de piquet paye à la ferme 32 deniers. Après cette opération, on commence à peindre les têtes, car le moule n’en a donné que le trait noir, tel qu’on le voit fig. 5. On applique d’abord le jaune, ensuite le gris, puis le rouge, le bleu & le noir. On fait tous les tas en jaune de suite, tous les tas en gris, &c. Le jaune n’est autre chose que de la graine d’Avignon qu’on fait bouillir, & à laquelle on mêle un peu d’alun pour la purifier; le gris, qu’un petit bleu d’indigo qu’on a dans un pot; le rouge, qu’un vermillon broyé & délayé avec un peu d’eau & de colle ou gomme; le bleu, qu’un indigo plus fort, délayé aussi avec de la gomme & de l’eau; le noir, que du noir de fumée. On se sert pour appliquer ces couleurs, de différens patrons; le patron est fait d’un morceau d’imprimure. Les ouvriers entendent par une imprimure, une feuille de papier qu’on prépare de la maniere suivante: faites calciner des écailles d’huîtres ou des coques d’oeufs; broyez – les & les réduisez en poudre menue. Mêlez cette poudre avec de l’huile de lin, & de la gomme arabique, vous aurez une composition pâteuse & liquide, dont vous enduirez le papier. Vous donnerez six couches à chaque côté; ce qui rendra la feuille épaisse, à peu près comme une piece de 24 sous. C’est au Cartier à découper l’imprimure; ce qu’il exécute pour les têtes avec une espece de canif: pour cet effet, il prend une mauvaise feuille de carte toute peinte, il applique cette feuille sur l’imprimure & l’y fixe; il enleve avec sa pointe ou son canif toutes les parties peintes de la même couleur, & de la feuille & de l’imprimure: puis il ôte cette imprimure & en substitue une autre sous la même feuille, & enleve au canif tant de la feuille que de l’imprimure, une autre couleur, & ainsi de suite autant qu’il y a de couleurs. La feuille peinte qui sert à cette operation, s’appelle faute. Voyez fig. 6. un patron découpé, c’est à dire, dont on a enlevé toutes les parties qui doivent être peintes d’une même couleur en jaune, si c’est un patron jaune. Comme il y a cinq couleurs à chaque carte, il y a aussi cinq patrons. On applique les patrons successivement sur la même tête, & on passe dessus avec un pinceau la couleur qui convient; il est évident que cette couleur ne prend que sur les parties de la carte, que les découpures du patron laissent découvertes. Dans la fig. 6. d’un patron jaune, les parties couvertes sont représentées par le noir; & les parties découpées, par les taches irrégulieres blanches. Voilà pour la peinture des têtes. Quant à celle des points, les patrons ne sont pas découpés au canif, mais à l’emporte – piece. On a quatre emporte pieces différens, pique, trefle, coeur, & carreau, dont on frappe les imprimures. Les bords de ces emporte – pieces sont tranchans & coupent la partie de l’imprimure sur laquelle ils sont appliqués; ces imprimures ainsi préparées servent à faire les points, comme celles des têtes ont servi à peindre les figures: il faut seulement observer pour les têtes, que la planche en étant divisée en quatre coupeaux, on passe le pinceau à quatre reprises. Quand tous les papiers ou feuilles de pau sont peintes, comme nous venons de dire, il s’agit de les appliquer sur les doubles; pour cet effet, on les mêle en tas: une feuille peinte, un double; une feuille peinte, un double, & ainsi de suite: de maniere que le double soit toûjours enfermé entre deux feuilles peintes. On colle, on presse, on pique, on étend, comme ci – dessus. On abat, & l’on sépare les doubles, ainsi comme nous avons dit qu’on séparoit les étresses. Ce nouveau travail n’a rien de particulier; il fait seulement passer l’ouvrage un plus grand nombre de fois entre les mains de l’ouvrier. Quand on a séparé, on prépare le chauffoir; le chauffoir est tel qu’on le voit, fig. 7. c’est une caisse de fer quarrée, à pié, dont les bords supportent des bandes de fer quarrées, passées les unes sur les autres, & recourbées par les extrémités. Il y en a deux fur la longueur, & deux sur la largeur; ce qui forme deux crochets sur chaque bord du chauffoir. On allume du feu dans le chauffoir; on passe dans les crochets ou agraffes qu’on remarque autour du chauffoir, une caisse quarrée de bois qui sert à concentrer la chaleur; on place ensuite quatre feuilles en dedans de cette caisse quarrée, une contre chaque côté, puis on en pose une dessus les barres qui se croisent; on ne les laisse toutes dans cet état, que le tems de faire le tour du chauffoir. On les enleve en tournant, on y en substitue d’autres, & l’on continue cette manoeuvre jusqu’à ce qu’on ait épuisé l’ouvrage; cela s’appelle chauffer. Au sortir du chauffoir, le lisseur prend son ouvrage & le savonne par devant, c’est à dire du côté des figures. Savonner, c’est avec un assemblage de morceaux de chapeau cousus les uns sur les autres à l’épaisseur de deux pouces, & de la largeur de la feuille (assemblage qu’on appelle savonneur) emporter du savon, en le passant sur un pain de cette marchandise, & le transporter sur la feuille en la frottant seulement une fois. On savonne la carte pour faire couler dessus la pierre de la lissoire. Quand la carte est savonnée, on la lisse. La lissoire est un instrument composé d’une perche, dont on voit une extrémité Planche du Cart. fig. 8. l’autre bout aboutit à l’extrémité d’une planche, qu’on voit dans la vignette de la même Planche, fixée aux solives. Cette planche fait ressort. La figure M est la boîte de la lissoire; la figure n en est la pierre. Cette pierre, qui n’est autre chose qu’un caillou noir bien poli, se place dans l’ouverture qu’on voit à la partie supérieure de la boîte M. La pierre se polit sur un grès; on la figure à peu – près en dos d’âne. On voit, figure M n, la boîte avec sa pierre. On apperçoit à la partie supérieure de la figure M n de part & d’autre, deux entailles circulaires. La langue solide qui est entre les entailles, se place dans la fente de l’extrémité de la perche 8. On apperçoit aux deux extrémités de la boîte M n, deux éminences cylindriques: ce sont les deux poignées avec lesquelles l’ouvrier appellé lisseur, fait aller la lissoire sur la feuille de carte. Cette carte à lisser est posée sur un marbre. Ce marbre est fixé sur une table; la pierre de la lissoire appuyée fortement contre la carte, sur laquelle l’ouvrier la fait aller de bas en haut, & de haut en bas. Pour qu’une feuille soit bien lissée, il faut qu’elle ait reçû vingt – deux coups ou vingt – deux allées & venues. Un bon ouvrier lissera trente mains par jour: il est payé 30 sous. Son métier est fort pénible; & ce n’est pas une petite fatigue que de vaincre continuellement l’élasticité de la planche qui agit à un des bouts de la perche de la lissoire, & applique fortement la pierre contre la feuille à lisser. On voit dans la vignette, fig. 3. un lisseur; figure 2. un ouvrier occupé à peindre des points; & fig. 1. un ouvrier qui peint des têtes. Quand la carte est lissée par devant, on la chausse, comme on a fait ci dessus. Il faut observer que soit en chauffant, soit en réchauffant, c’est la couleur qui est tournée vers le feu. Le réchauffage se fait comme le chauffage. Après cette manoeuvre, on savonne la carte par – derriere, & on la lisse par derriere. Au sortir de la lisse, la carte va au ciseau pour être coupée. On commence par rogner la feuille. Rogner, c’est enlever avec le ciseau ce qui excede le trait du moule, des deux côtés qui forment l’angle supérieur à droite de la feuille. Pour suivre ce trait exactement, il est évident qu’il faut que la face colorée soit en dessus, & puisse être apperçûe par le coupeur. Les traits du moule tracés autour des cartes, & qui, en formant pour ainsi dire les limites, en assûrent l’égalité, s’appellent les guides: c’est en effet ces traits qui guident le coupeur. Le coupeur a son établi particulier. Il est représenté dans la vignette, fig. 4. il est composé d’une longue table, sur laquelle est l’esto. L’esto est un morceau de bois d’environ deux pouces d’épais, sur un bon pié en quarré, bien équarri & assemblé le plus fermement & le plus perpendiculairement qu’il est possible avec le dessus de la table. On voit, figure 12. l’esto séparé Z, & fig. 4. de la vignette, on le voit assemblé avec la table par les tenons 4, 4, & ses clavettes ou clés 5, 5, sur la surface Z de l’esto, fig. 12. on a fixé un litau 2 percé: c’est dans le trou de ce litau qu’on place la vis 12, dont l’extrémité a reçoit l’écrou b sur l’autre surface de l’esto. La corde qui passe par dessus le bord supérieur de l’esto, soûtient une broche de fer à laquelle elle est attachée, & qui sert à avancer ou reculer la vis. On voit à l’extrémité de la vis, deux arrêts circulaires 1, 2, dont nous ne tarderons pas d’expliquer l’usage. On voit, fig. 10. & 11. les ciseaux desassemblés; & dans la vignette, fig. 4. on les voit assemblés avec l’établi, & en situation pour travailler. Le bout d’une des branches 2, se visse dans le solide de l’établi par le boulon taraudé, & son extrémité est contenue entre les deux arrêts circulaires de la vis; ensorte que cette branche ne peut vaciller non plus que l’autre, qui est fixée à celle – ci par le clou, comme on voit vignette, fig. 4. Il s’ensuit de cette disposition, que pour peu que l’ouvrier soit attentif à son ouvrage, il lui est impossible de ne pas couper droit & de ne pas suivre les guides. Quand il a rogné, il traverse. Traverser, c’est separer les coupeaux, ou mettre la feuille en quatre parties égales. Quand il a traversé, il ajuste: ajuster, c’est examiner si les coupeaux sont de la même hauteur. Pour cet effet, on les applique les uns contre les autres, & on tire avec le doigt ceux qui débordent; on repasse ceux ci au ciseau. On doit s’appercevoir que le ciseau est tenu toûjours à la même distance de l’esto, & qu’il ne s’en peut ni éloigner, ni approcher. On a planté en 3, 3, sur le milieu de l’esto, dans une ligne parallele au tranchant de la lame immobile du ciseau, deux épingles fortes. On pose le coupeau à retoucher contre ces épingles en dessous; on applique bien son côté contre l’esto, & l’on enleve avec le ciseau tout ce qui excede. Cet excédent est nécessairement de trop, parce que la distance du ciseau à l’esto est précisément de la hauteur de la carte. Quand on a repassé, on rompt. Rompre, c’est plier un peu les coupeaux, & leur faire le dos un peu convexe. Après avoir rompu les coupeaux, on les mene au petit ciseau. Le petit ciseau est monté précisément comme le grand; & il n’y a entre eux de différence que la longueur & l’usage. Le grand sert à rogner les feuilles & à les mettre en coupeaux; & le petit, à mettre les coupeaux en cartes. On rogne, & l’on met en coupeaux les feuilles les unes après les autres; & les coupeaux en cartes, les uns après les autres. Quand les coupeaux sont divisés, on assortit. Assortir, c’est ranger les cartes divisées par deux rangs de cartes, déterminés par l’ordre qu’elles avoient sur le moule ou sur les feuilles. Il y a entre la place d’une carte sur la feuille & sa place dans le rang, une correspondance telle que dans cette distribution; toutes les cartes de la même espece, tous les rois, toutes les dames, tous les valets, &c. tombent ensemble: alors on dit qu’elles sont par sortes. Mises par sortes, on les trie. Trier, c’est mettre les blanches avec les blanches, les moins blanches ensemble, & ôter les taches, qu’on appelle le bro, comme nous avons dit. On distingue quatre lots de cartes relativement à leur degré de finesse: celles du premier lot s’appellent la fleur; celles du second, les premieres; celles du troisieme, les secondes; celles du quatrieme & du cinquieme, les triards ou fonds. Quand on a distribué chaque sorte relativement à sa qualité ou son degré de finesse, on fait la couche, où l’on forme autant de sortes de jeu qu’on a de différens lots; ensuite on range & on complette les jeux, ce qui s’appelle faire la boutée. On finit par plier les jeux dans les enveloppes; ce qu’on exécute de maniere que les jeux de fleur se trouvent au – dessus du sixain, afin que si l’acheteur veut examiner ce qu’on lui vend, il tombe nécessairement sur un beau jeu. On prépare les enveloppes exactement comme les cartes, avec un moule qui porte l’enseigne du Cartier. Mais il y a à l’extrémité de ce moule une petite cavité qui reçoit exactement une piece amovible, sur laquelle on a gravé en lettres le nom de la sorte de jeu que l’enveloppe doit contenir, comme piquet, si c’est du piquet; médiateur ou comete, si c’est médiateur ou comete: cette piece s’appelle bluteau. Comme il y a deux sortes d’enveloppes, l’une pour les sixains, l’autre pour les jeux, il y a plusieurs moules pour les enveloppes: ces moules ne different qu’en grandeur. Les cartes se vendent au jeu, au sixain, & à la grosse. Les jeux se distinguent en jeux entiers, en jeux d’hombre, & jeux de piquet. Les jeux entiers sont composés de cinquante deux cartes; quatre rois, quatre dames, quatre valets, quatre dix, quatre neuf, quatre huit, quatre sept, quatre six, quatre cinq, quatre quatre, quatre trois, quatre deux, & quatre as. Les jeux d’hombre sont composés de quarante cartes, les mêmes que ceux des jeux entiers, excepté les dix, les neuf, & les huit qui y manquent. Les jeux de piquet sont de trente deux; as, rois, dames, valets, dix, neuf, huit, & sept. On distingue les cartes en deux couleurs principales, les rouges & les noires: les rouges représentent un coeur ou un losange; les noires un trefle ou un pique: elles sont toutes marquées depuis le roi jusqu’à l’as de coeur, trefle, carreau ou pique. Celles qu’on appelle roi, sont couronnées & ont différens noms. Le roi de coeur s’appelle Charles; celui de carreau, César; celui de trefle, Alexandre; & celui de pique, David. Les dames ont aussi leurs noms: la dame de coeur s’appelle Judith; celle de carreau, Rachel; celle de trefle, Argine; & celle de pique, Pallas. Le valet de coeur se nomme Lahire; celui de carreau, Hector; celui de pique, Hogier; celui de trefle a le nom du Cartier. Les dix portent dix points sur les trois rangées, quatre, deux, quatre; les neuf sur les trois rangées, quatre, un, quatre; les huit sur les trois rangées, trois, deux, trois; les sept sur les trois rangées, trois, un, trois; les six sur les deux rangées, trois, trois; les cinq sur les trois rangées, deux, un, deux; les quatre sur les deux rangées, deux, deux; les trois sur une rangée, ainsi que les deux: l’as est au milieu de la carte. S’il y avoit un moyen de corriger les avares, ce seroit de les instruire de la maniere dont les choses se fabriquent: ce détail pourroit les empêcher de regretter leur argent; & peut-être s’étonneroient-ils qu’on leur en demande si peu pour une marchandise qui a coûté tant de peine. On a mis de grands impôts sur les cartes, ainsi que sur le tabac; cependant je ne pense pas que ceux même qui usent le plus de l’un, & qui se servent le plus des autres, ayent le courage de s’en plaindre. Qui eût jamais pensé que la fureur pour ces deux superfluités, pût s’accroître au point de former un jour deux branches importantes des fermes? Qu’on n’imagine pas que celle des cartes soit un si petit objet. Il y a tel Cartier qui fabrique jusqu’à deux cents jeux par jour. Il y auroit un moyen de rendre cette ferme beaucoup plus importante: je le publie d’autant plus volontiers, qu’il ne seroit certainement à charge à personne; ce seroit de taxer le prix des cartes au dessous de celui qu’elles ont. Qu’arriveroit-il de là? qu’il y auroit si peu de différence entre des cartes neuves & des cartes recoupées, qu’on se détermineroit aisément à n’employer que des premieres. Le Fermier & le Cartier y trouveroient leur compte tous deux: ce qui est évident; car les cartes se recoupent jusqu’à deux fois, & reparoissent par conséquent deux fois sur les tables. Si en diminuant le prix des cartes neuves, on parvenoit à diminuer de moé la distribution des vieilles cartes, celui qui fabrique & vend par jour deux cents jeux de cartes, qui par la recoupe tiennent lieu de six cents, en pourroit fabriquer & vendre trois cents. Le Cartier regagneroit sur le grand nombre des jeux vendus, ce qu’on lui auroit diminué sur chacun, & la ferme augmenteroit sans vexer personne. Il est surprenant que nos François qui se piquent si fort de bon goût, & qui veulent le mieux jusque dans les plus petites choses, se soient contentés jusqu’à présent des figures maussades dont les cartes sont peintes: il est évident, par ce qui précede, qu’il n’en coûteroit rien de plus pour y représenter des sujets plus agréables. Cela ne prouve-t-il point qu’il n’est pas aussi commun qu’on le pense, de joüer ou par amusement, ou sans intérêt? pourvû qu’on tue le tems, ou qu’on gagne, on ne se soucie guere que ce soit avec des cartes bien ou mal peintes. Page ajoutée le 30 janvier 2008